"Akihabara, akihabara, la descente s'effectuera par la gauche merci..."
Bon sang, dans quel pétrin me suis-je fourré en suivant ma curiosité à Londres... Il ne s'était écoulé qu'une semaine, et me voilà sans le sou en pleine mégalopole japonaise. J'avais renoncé à la moindre de mes possessions pour faire ce voyage rêvé de tous les mages, alors que je n'étais qu'un petit nouveau dans le milieu qui savait à peine faire quelques loupiotes. Et pour couronner le tout, il y avait "lui". Mon servant, l'espèce de géant pas du tout pratique qui passait le plus clair de son temps à faire des "ooooh" et des "aaah" en contemplant le moindre poteau plutôt que de faire attention à la foule et s'était excusé une bonne vingtaine de fois après avoir bousculé des groupes de passants. Et plutôt que de chercher un abri confortable et de quoi manger, Môssieur avait insisté pour qu'on se rende dans les quartiers à la mode, histoire d'en voir toujours plus sur notre monde moderne. J'avais déjà dû subir les interminables séances de question sur le moindre truc croisé en Angleterre, sur les avions, les trains, les métros, les tenues des gens et j'en passe, et voilà qu'il m'avait fait descendre à Akihabara en voyant les boutiques colorées dédiées aux jeux vidéos et animes japonais divers et variés. Il avait bien sûr insisté pour que je fasse tomber « une de ces boîtes en métal fraîches » d’un distributeur pour en boire le contenu comme un sagouin sous le regard amusé de la foule, avant que nous quittions la station pour explorer les rues alentour. Le moins que l’on puisse dire et qui me déplaisait fortement avec le Japon c’était cette quantité de gens qui se baladaient à l’extérieur, comme si la vie était parfaitement normale, alors qu’on avait clairement annoncé que la ville était sous un dôme qui empêchait de quitter la zone. Nous nous arrêtâmes devant un distributeur de billets, et je m’approchai de celui-ci dans l’intention de retirer le peu de monnaie qu’il nous restait.
« Tu sembles plutôt dépité à l’idée de retirer l’argent de cette étrange machine… N’es-tu pas un master, un être capable d’utiliser la magie ? »
Mon master avait beaucoup de chemin à parcourir… Je commençais peu à peu à cerner la personnalité de ce petit être chétif qui ne manquait pourtant pas de ressources. Il m’avait éclairé sur toute la technologie de ce monde, ma foi fort fascinante, et nous avions eu l’occasion de goûter un de ces fameux « hamburgers », un plat assez peu raffiné mais plutôt bon. A présent, nous nous trouvions au Japon, une terre à l’Extrême Orient de notre monde dont je n’avais entendu parler que très vaguement durant mon règne, car il n’existait aucune possibilité de s’y rendre, le pays fermant ses frontières aux étrangers. Et une fois encore, la surprise était au rendez-vous… Machine à grande vitesse souterraine reliant les quartiers les uns aux autres, machine de fer reliant les villes entre elle avec une célérité inimitable… L’être humain avait inventé tant de machines incroyables pour sublimer son quotidien que je ne cessais de m’émerveiller sur les possibilités de cette époque. O combien mon Empire aurait été grandiose en ces temps ! Je fus pris d’un élan nostalgique, vite stoppé par la réaction de mon protégé qui fulminait à la question que je lui avais posé. Je n’avais écouté qu’à demi mots sa réponse, mais il me semble qu’il me parlait de « grandement le surestimer » et d’aller me faire voir quelque part où sa pensée le menait. L’expression n’étant pas réellement courante de mon temps, je compris néanmoins son intention belliqueuse et vexante au regard de Warren qui se retourna vers l’engin distributeur d’argent avec l’air de celui qui veut se prouver des choses. J’observai mon Master avec grand intérêt.
« La magie hein ! Tu vas voir si je suis capable ou pas d’utiliser la magie ! Crétin de Napoléon ! »
Napoléon me surprotégeait, comme un enfant dont il avait la responsabilité, et je détestais cela. Je n’étais plus un gamin bon sang ! D’accord j’étais encore loin d’être un adulte accompli, j’étais probablement considéré comme un ringard par une bonne partie de la population, mais tout de même, je devrais pouvoir faire quelque chose par moi-même ! Je regardais l’interface de la machine, fronçant les sourcils en espérant déclencher quelque chose par ma réaction, imaginant des zéros supplémentaires derrière la somme misérable qu’il restait sur mon compte. Bien entendu, rien ne se produisit. Je soupirai, et m’apprêtai à retirer mon argent, mais soudainement, les chiffres s’emballèrent. Je n’osai retirer ma main, me demandant si quelqu’un pouvait me prendre pour un voleur avec un tel tour de passe passe, mais la machine me demanda simplement si je confirmais le montant retiré. Sans vraiment faire attention, je validai la transaction, et le distributeur s’ouvrit, délivrant une somme considérable, largement suffisante pour subvenir à nos besoins pendant quelques semaines. Paniqué, incrédule devant ce qu’il venait de se passer, je rangeai l’argent en catimini dans mon sac, encore sous le choc de ce qu’il venait de se produire. Pendant ce temps, l’autre idiot d’empereur jubilait.
« Voilà qui est parfait, nous avons de quoi festoyer mon jeune ami ! Allez, montre moi ce que cette culture qui m’est inconnue a à nous proposer ! »